Airbus: aux Etats-Unis, tout Mobile se mobilise.

Un Airbus A321 est assemblé sur le site américain du constructeur à Mobile (Alabama).

L’implantation d’Airbus aux Etats-Unis, à Mobile, est un événement historique pour le conglomérat européen. Il n’aurait sans doute jamais eu lieu sans les incitations financières offertes en coulisse par la ville et par l’Etat d’Alabama. Reportage.

Même les serveuses du cocktail offert par Airbus, au Renaissance hôtel de Mobile (Alabama), s’informent, mine de rien, entre deux passages de plateaux: y aura-t-il des possibilités d’embauche dans la nouvelle usine d’assemblage de l’avionneur européen, inaugurée ce lundi? « Je ferai tout ce qu’ils veulent, chuchote l’une d’elles. Je ne demande qu’à apprendre. »

Les chauffeurs de taxi qui font la navette entre le centre-ville et l’Aeroplex de Brookley, près du port et du Golfe du Mexique, sont incollables sur la saga aéronautique locale. Non sans raison. L’échec des projets de construction d’un ravitailleur destiné à l’US Air Force, en mars 2011, après six ans de bras de fer avec l’ennemi Boeing, avait déprimé un peu plus une ville industrielle mainte fois trahie par les arguties de la politique américaine et par la désindustrialisation.

« Une fierté incroyable » pour les habitants

Depuis que Lyndon Johnson, en 1964, s’est vengé de l’opposition massive de l’Alabama à son élection en fermant d’un trait de plume la gigantesque base aérienne de Mobile, vouant la région entière au chômage, la ville a survécu grâce aux chantiers navals Austal, où les impressionnantes frégates de la Navy viennent toujours se faire réparer. Grâce, aussi, à la chimie et aux usines de raffinages stratégiques du Golfe. Mais l’enterrement du fameux « KC », un projet d’avion citerne promis à la superpuissance militaire américaine, tenait de l’augure funeste.

Voilà pourquoi, à l’heure de la rédemption et du Happy End signé Airbus, Ryanne Dedeaux, 27 ans, l’une des 260 premières recrues de l’usine d’assemblage des futurs A320 de Mobile, ne s’étonne plus qu’on l’arrête dans la rue à la vue du logo de l’avionneur européen sur sa chemise. « C’est une fierté incroyable pour les gens d’ici, jubile-t-elle. Moi-même, qui sors de cinq ans sur un porte-avions dans la marine, je ne cherchais qu’un boulot. Je n’avais pas vraiment saisi, avant mon entretien d’embauche, l’énormité et l’histoire de cette entreprise, ni sa véritable dimension internationale. J’en suis soufflée. »

Voilà pourtant quatre ans que Mobile prépare assidûment sa revanche. Au lendemain de la victoire de Boeing, la chambre de commerce de la ville, la mairie et tous les élus de l’Etat ont repris leur campagne, proposant à Airbus un plan d’incitation de quelque 158 millions de dollars si le groupe européen acceptait de s’engager à implanter chez eux sa première usine d’assemblage américaine d’avions civils.

Même le changement de gouverneur, en janvier 2011, le remplacement de Bob Riley, prosélyte acharné de l’industrie aéronautique, par son successeur, lui aussi Républicain, Robert Bentley, bien moins expérimenté en matière industrielle, n’a pas infléchi la résolution des politiques.

Incitations financières

« Les incitations financières ont fait la différence, jure Sam Jones, l’ancien Maire de Mobile, comme tous les décideurs politiques d’Alabama. Et certes, les autorités n’ont pas lésiné pour emporter l’investissement de 600 millions de dollars et à terme, les 1000 emplois ultra-qualifiés nécessaires à la production maximale de 6 à 8 avions par mois.

Sur les 158 millions promis, 41,2 (sur 70 annoncés) ont été déjà versés par l’Etat d’Alabama. Pour sa part, l’AIDT, l’agence publique de formation professionnelle de l’Etat, a budgétisé plus de 51 millions de dollars pour la qualification des recrues d’Airbus. Les 10,5 millions (sur 14 millions à verser) provenant du comté de Mobile et 10 autres millions payés par la ville elle-même (sur une enveloppe totale de 18 millions) donnent la mesure de l’engagement des pouvoirs publics.

L’Etat et la région n’en sont pas à leur première offensive de séduction, pour avoir déjà assuré, non sans quelques frais, l’implantation d’autres grands opérateurs étranger, tels Toyota et Mercedes, dans une région connue pour son faible taux de syndicalisation. La préparation des infrastructures, les dégrèvements massifs de taxes sur les matériaux et la main d’oeuvre des chantiers de construction, jusqu’à une subvention annuelle de 75 000 dollars pendant quinze ans pour l’utilisation des pistes de l’aéroport de Brookley, ne pouvaient que satisfaire Airbus.

Un pari sur l’effet démultiplicateur des emplois

En contrepartie, l’industriel devra montrer sa loyauté en maintenant un minimum de 600 emplois à Mobile pendant trois des six prochaines années, sous peine de pénalités pouvant atteindre 260 000 dollars pour chaque poste non pourvu.

Car la région mise à moyen terme sur l’effet démultiplicateur de ces nouveaux jobs. Pour avoir visité les sous-traitants de Toulouse au temps du projet de ravitailleur militaire, et admiré la zone industrielle de Hambourg, les élus locaux espèrent voir débarquer une nuée de fournisseurs de pièces et de services et capter autour de Mobile une part même infime des quelque 16 milliards de dollars d’achats d’équipements effectuées par Airbus aux Etats-Unis.

Plus simplement, la masse salariale des 1000 employés d’Airbus à Brookley, évaluée à 61 millions de dollars par an, pourrait revitaliser l’économie locale en dopant l’immobilier et le commerce. A terme, la chambre de commerce évalue à plus de 400 millions de dollars l’apport d’Airbus au PIB de l’Alabama.

Reste à évaluer l’immatériel, l’effet image de ces 600 millions d’investissements. Airbus, pour sa part, s’offre mieux qu’une nouvelle usine d’assemblage dans une zone dollar encore avantageuse: un blason de constructeur américain sur un marché connu pour son protectionnisme viscéral. La compagnie aérienne Jetblue, leader du transport populaire, et destinataire, début 2016, du premier A320 de Brookley, ne se prive pas de communiquer déjà sur l’origine de son avion, fièrement « made in Alabama ».

Quant à Mobile, son coup de pouce de 158 million lui rapporte déjà gros: un démenti high tech et international à l’image de « red neck« , de bouseux sudiste qui lui a trop longtemps collé à la peau. Le souvenir de la ségrégation et des violences des années 60 s’efface dans le hall immaculé des avions de l’avenir. Et cela n’a pas de prix.

Source: http://lexpansion.lexpress.fr/entreprises/airbus-aux-etats-unis-tout-mobile-se-mobilise_1715798.html?PMSRC_CAMPAIGN=20150915180002_38_nsl_nl_lexpansion_18_heures_55f84082d3860b697e8b4567&xtor=EPR-3124-[20150915180002_38_nsl_nl_lexpansion_18_heures_55f84082d3860b697e8b4567_0018C0]-20150915- [assemblage_d_un_airbus_a321_sur_le_site_americain_du_constructeur_a_mobile_alabama_5415221_jpg_003BR6T]-[RB2D106H0014RTB8]-20150915040200#PMID=cGhpbGlwcGUuc2VsbGllckB3YWJpbmVzcy5mcg==

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