La recette du lobbying !

Ils sont entre vingt et trente mille. Une véritable petite armée, ces lobbyistes qui tissent leur influence dans le quartier européen de Bruxelles. Si l’on ignore leur nombre précis, c’est parce que les institutions européennes renâclent à s’équiper d’outils qui leur permettraient de cerner les contours de cette influence dont elles sont pourtant les cibles.

Il existe bien un « registre de transparence » , créé en 2005. Toute organisation engagée dans une activité de lobbying -des multinationales aux ONG en passant par les cabinets d’avocats- sont censées se signaler. On peut par exemple y lire que le plus gros lobby européen, le Conseil européen de l’industrie chimique (CEFIC), dispose de 69 lobbyistes -sur un total de 150 employés- et a dépensé près de 6 millions d’euros en « actions de lobbying » en 2013.

Mais l’inscription au registre n’est pas obligatoire, pas plus que la mise à jour des informations déclarées. Ainsi, de nombreuses organisations ne respectent pas les règles du jeu. Selon un rapport d’Alliance for Lobbying Transparency and Ethics Regulation (ALTER-EU) publié en 2012, plus de 100 grandes firmes en sont tout simplement absentes : Adidas, Apple, General Motors Europe, Heineken, Nissan ou des banques comme Goldman Sachs et HSBC. Or les deux tiers des lobbyistes sur le terrain bruxellois représentent des intérêts commerciaux, selon Corporate Europe Observatory (CEO), une organisation spécialisée dans la surveillance rapprochée de leurs manœuvres.

Le b.a.-ba du lobbying? Capturer la décision publique. Ce terme -capture- est devenu assez banal dans les médias anglo-saxons, mais reste relativement inconnu en France. La crise financière de 2008 a mis en évidence ce phénomène qui consiste, pour un acteur économique, à intervenir dans l’élaboration des réglementations qui touchent ses produits ou ses services afin de limiter leur impact et de les détourner à son avantage. Dans le cas des banques: participer à leur détricotage – la fameuse dérégulation.

L’idée ne date pas d’hier. La théorie de la capture ou « capture du régulateur » a été développée par George Stigler, économiste de l’école de Chicago, prix Nobel d’économie, au tout début des années 70. « L’État -l’appareil et le pouvoir de l’État- est une ressource ou une menace potentielle pour toute industrie dans la société », écrivait-il dans son article fondateur. « En règle générale, la régulation est appropriée pour l’industrie et elle est élaborée et mise en œuvre pour son propre bénéfice ». La capture de la décision publique n’implique pas forcément de rapport de force. Au contraire. Il s’agit plutôt d’organiser la proximité entre les intérêts privés et les décideurs publics. D’irriguer le système d’informations jusqu’à en devenir la source principale. Indispensable, la construction de relations à long terme, de liens personnels et plaisants, conduit le régulateur à « penser industrie ». La première qualité du bon lobbyiste? Être sympa.

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Journaliste indépendante et documentariste Huffington post

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