Pourquoi les meilleurs éléments démissionnent-ils ?

L’essor du travail collaboratif a une triste conséquence. Surchargés de travail, les salariés les plus compétents peuvent souffrir de burn-out et quitter l’entreprise.

Dans le dernier numéro de la Harvard Business Review, une équipe de chercheurs soutient que la généralisation du travail collaboratif nuit à la performance des entreprises.

Les chercheurs expliquent que dans tous les secteurs, les employés les plus compétents sont trop sollicités par leurs collègues, ce qui les conduit éventuellement au burn-out et à la démission.

C’est une forme de « syndrome de la réussite » : plus l’employé est performant, plus on en exigera de lui.

Nous nous sommes entretenus avec Rob Cross, professeur de commerce à l’université de Virginie, pour en savoir plus sur le déroulement de ce processus et les moyens de l’éviter.

M. Cross, qui étudie les effets des réseaux collaboratifs depuis vingt ans, a remarqué une intensification sans précédent du travail collaboratif au cours des dix dernières années.

Cette explosion est en partie due aux innovations technologiques telles que les e-mails et les réseaux sociaux qui facilitent la collaboration entre collègues partout dans le monde en temps réel.

L’évolution des entreprises sur le plan structurel est, selon le spécialiste, un facteur moins évident qu’il faut également prendre en compte. Il a constaté que la plupart des entreprises classées au Fortune 500 ont recours au management matriciel et à des systèmes de double reporting. Cela signifie que les employés se verront attribuer des tâches par au moins deux supérieurs à qui ils devront rendre des comptes.

En outre, dans de nombreux secteurs, les connaissances se sont tellement spécialisées qu’il est devenu impératif pour des collègues de différents départements de travailler ensemble.

Au premier abord, ces développements semblent positifs. Lorsque les membres d’une entreprise entendent parler de collaboration, leur première réaction est de dire « nous pensons tous que nous devrions collaborer davantage ».

Même les cadres supérieurs ne voient pas les inconvénients de cette méthode, à savoir la quantité de travail excessive imposée aux meilleurs éléments risquant de conduire à leur démission, car, comme beaucoup d’autres, ils n’ont pas connaissance des nombreuses demandes faites à ces employés.

En 2011, dans un article expliquant comment le travail collaboratif contribue au turnover, Rob Cross et ses collègues ont écrit :  » au cours de nos recherches, nous nous sommes souvent entretenus avec des directeurs qui ne comprenaient pas pourquoi la productivité d’un employé chutait jusqu’à ce qu’ils s’aperçoivent à quel point celui-ci était débordé ».

En d’autres termes, les directeurs pensent être les seuls à solliciter un salarié sans se rendre compte que ce dernier ne sait en fait plus où donner de la tête et croule sous les demandes de ses autres collègues. Alors, quand il fait un burn-out ou, pire encore, quand il quitte l’entreprise, ses supérieurs ne comprennent pas pourquoi.

Pourtant, tout le monde comprend qu’ils puissent se sentir dépassés. M. Cross affirme que tout le monde tremble à l’idée de voir une réunion ajoutée à son emploi du temps déjà surchargé.

En étudiant les réseaux collaboratifs, M. Cross souhaite montrer par des données comment tout le monde réagit à cette méthode de travail pour que les entreprises puissent prendre des mesures afin de lutter contre le surmenage.

Les données les plus probantes sont représentés dans un graphique que l’on retrouve dans l’article de la Harvard Business Review. Ce graphique est basé sur des données que les auteurs ont collectées auprès des directeurs de vingt entreprises. D’après leurs résultats, plus une personne est considérée efficace et plus elle est sollicitée par ses collègues, moins elle est engagée dans son travail.

M. Cross appelle ce phénomène « le syndrome de la réussite » car plus vous êtes compétent, plus on en attend de vous.

Cela se produit souvent quand un leader accède à un poste avec plus de responsabilités car il doit gérer deux types de rapports en même temps : ceux avec ses nouveaux collègues et ceux avec ses anciens collègues qui continuent de le solliciter.

Très rapidement, leurs journées se remplissent ; ils sont obligés de planifier des réunions à des intervalles plus courts. Une fois chez eux, ils continuent de répondre à leurs e-mails professionnels.

« C’est cette pression permanente due à la gestion des différents types de réunions, d’e-mails et d’appels qui conduit au burn-out. Elle affecte leur capacité à innover, leur créativité et d’autres qualités essentielles à leur réussite  » affirme M. Cross.

Parallèlement, M. Cross et ses collègues ont découvert que certaines personnes sont moins susceptibles de craquer en travaillant dans ces circonstances. Elles sont capables de faire face aux demandes de plus en plus nombreuses tout en restant efficaces.

Elles sont généralement plus sensibles à la façon dont elles passent leur temps en collaboration et utilisent des simples stratégies de gestion du temps qui ont leur importance.

Par exemple, elles réservent des créneaux horaires pour traiter plusieurs e-mails à la fois au lieu de consulter leur boite de réception toutes les deux minutes et elles ne laissent pas la technologie décider des durées des réunions. Même si le réglage par défaut de l’agenda ne permet de planifier que des réunions de 30 minutes minimum, 15 peuvent suffire.

M.Cross et son équipe recherchent actuellement un moyen de développer ces capacités chez les employés susceptibles de faire un burn-out. Ils suggèrent de consulter votre agenda et votre boite mail et de rayer, sur une période de quatre mois, toutes les réunions et demandes d’informations qui ne vous concernent plus.

De leur côté, les entreprises peuvent prendre des mesures pour empêcher leurs meilleurs éléments de se retrouver sous l’eau et de démissionner.

Les directeurs doivent se rendre compte que les réunions régulières et périodiques prennent énormément de temps. Les cadres supérieurs devraient se pencher sur la question des réunions et des processus de prise de décision en groupe et vérifier si toutes les personnes impliquées sont indispensables.

Dans l’article de la Harvard Business Review, les auteurs recommandent aux employeurs « d’aider les employés les plus actifs et surchargés à filtrer et hiérarchiser les demandes, de leur donner la permission d’en refuser (ou d’y accorder seulement la moitié du temps requis) et de les encourager à faire appel à une tierce personne lorsque la demande en question ne nécessite pas leur unique contribution.

Les auteurs vont jusqu’à suggérer que les entreprises engagent des « chief collaboration officers », c’est à dire un employé qui serait en charge de l’organisation du travail collaboratif.

Même si une prise de conscience collective mettra du temps à se produire, les entreprises seront contraintes, un jour ou l’autre, de s’intéresser aux effets de la surcharge de travail due au travail collaboratif sur l’efficacité des employés, au burn-out et au turnover.

« A l’heure actuelle tout le monde est absorbé par les activités collaboratives, mais personne n’y prête vraiment attention ».

 

Article de Shana Lebowitz. Traduction de Soraya Bouznada, JDN.

 

Voir l’article original : Researchers say the « success syndrome » could explain why your best employees are quitting

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