L’innovation fondée sur les SI, source de développement en Afrique.

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Dans le domaine des TIC, les pays africains bénéficient d’un véritable saut quantique technologique qui leur permet d’adopter les technologies les plus matures et les plus efficaces, sans surcoût exorbitant lié à l’adaptation d’un existant, et de les utiliser pour répondre à leurs usages spécifiques.

 Sur les fonts baptismaux des technologies TIC apportées par les pays dits développés, l’Afrique est devenu depuis un peu moins de 10 ans le berceau d’innovations majeures utilisant les TIC pour répondre à ses besoins. A titre d’illustration, mis en place en 2007 au Mali, Sénégal et Niger, le service Pésinet permet un télédiagnostic pédiatrique simple, basé sur le suivi régulier des courbes de poids, complété par des consultations médicales et la délivrance de médicaments courants. Des agents de pesée passent dans les familles peser les enfants et renseignent les données recueillies dans une application mobile dédiée. Une application en ligne reliée à une base de donnée permet le suivi en temps réel et à distance par le médecin local. Au Kenya, DrumNet fournit un accès aux marchés et aux prix pratiqués sur les différents  marchés de la région en temps réel. Il fonctionne comme un courtier gérant les interactions entre les exploitants et les entreprises, voire les banques, en authentifiant le paiement. Des applications similaires ont été développées par la suite dans de nombreux autres pays émergents. De même, l’application développée en Afrique par la start-up Jumia (Amazon de l’Afrique), qui permet de prendre en photo les pas de portes, a été ‘exportée’ dans d’autres pays africains, la plupart d’entre eux faisant face aux mêmes problèmes puisqu’il n’existe pas d’adressage postal.

Dans quelques cas, en particulier dans le secteur de la santé, il est possible d’observer un  véritable cycle d’innovation inversée fondé sur les TIC, relai voire source de croissance nouvelle pour les entreprises présentes en Afrique. Pour rappel, l’innovation inversée est une innovation de produit ou d’usage conçue et développée à partir de produits ou usages existants pour répondre aux besoins des populations locales, qui trouve d’abord sa place sur les marchés africains avant d’être lancée sur les marchés développés. L’innovation inversée suppose un changement de culture profond caractérisé entre autres par la valorisation de l’expertise des personnels implantés localement et l’autonomie laissée aux équipes locales qui créent un écosystème participatif local et fécond[1]. A titre d’illustration, dans le secteur de la santé, il faut citer le Mac 800, un électrocardiogramme de la taille d’un ordinateur portable, développé par les équipes locales de GE en 2008 pour les médecins indiens exerçant en zone rurale. Se focalisant sur les besoins de pays ne disposant pas d’une alimentation constante en énergie, GE est parti du postulat que les médecins de campagne voyageraient des jours sans avoir accès au réseau électrique et a doté son électrocardiogramme d’une batterie surpuissante. Depuis fin 2010, cet appareil est vendu dans l’hémisphère Nord à des services d’urgence qui les utilisent lors d’accidents de la route pour réaliser sur place un électrocardiogramme plutôt que de transporter un blessé vers l’hôpital.

Des innovations tirées certes par les usages, mais surtout par la nécessité et la débrouillardise

Les exemples ci-dessus illustrent combien les pays émergents, dont les pays africains, font figure de fer de lance de l’innovation en matière d’usage des TIC. Ceci illustre tout autant la forte capacité d’adaptation des populations de ces pays, que la nécessité de trouver une solution face des pénuries majeures, qui sont criantes en Afrique, en particulier dans le domaine de la santé. Que faire face à un manque patent d’infrastructures de santé, en l’absence d’approvisionnement régulier et continu en électricité tant pour les utilisateurs finaux (recharger les batteries) que pour les soignants (continuité du transfert des données sans parler des questions d’opérations, de chaîne du froid pour certains médicaments, etc.) ? Que faire alors que les personnels de santé sont peu nombreux : ainsi, la non-assistance des accouchements par du personnel médical est un facteur déterminant du maintien du fort taux de mortalité en couche en Afrique[2] ? Face à ces questions, les pays émergents doivent innover, en s’appuyant sur des partenariats ou sur leurs propres ressources, pour permettre à leur population d’accéder aux services de base dont la santé.

De fait, les populations des pays émergents savent faire flèche de tout bois et utiliser les outils existants pour en tirer le meilleur bénéfice. L’existant, c’est un taux de pénétration Internet fibre très faible. La débrouillardise de chacun a répondu au manque de fiabilité et à l’insuffisance des infrastructures : connexions internet démultipliées à l’aide de switch, quitte à réduire le débit de connexion ; mise en place du Wimax, moins lourd à déployer, en attendant le réseau fibre optique ; développement de technologies fondées sur le réseau GSM, se substituant aux infrastructures défaillantes et aux déplacements difficiles entre provinces. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : le taux de pénétration d’Internet en Afrique est passé de 3,6% à 15,3% entre 2007 et 2012 d’après l’Union internationale des télécommunications, et le taux de pénétration en téléphonie mobile[3] est passé de 20% en 2008 à 35% en 2014 d’après la GSMA, l’association mondiale des opérateurs de téléphonie mobile. L’Afrique subsaharienne est la région du monde qui connaît la progression la plus rapide en matière de téléphonie mobile.

Les défis de demain pour générer des innovations fondées sur les SI en Afrique

Les prochains défis à relever pour multiplier les belles histoires d’innovation fondées sur les SI, source de croissance et de développement, sont : la création d’écosystèmes locaux centrés sur les usages, la création / simplification du cadre juridique, le développement d’infrastructures fiables sécurisées, et plus largement la pérennisation de ces initiatives via la stabilisation des modèles économiques.

Pour passer de l’innovation par les usages sur les marchés locaux à l’innovation inversée et atteindre en une vague vertueuse marchés locaux et marchés des pays développées, il faut en premier lieu aller plus loin que la création de communautés locales, i.e. faire grandir les compétences et leur faire vraiment confiance. Conscientes de cet enjeu, de nombreuses entreprises ont mis en place des dispositifs de montée en compétence des populations locales. A titre d’illustration, Atos finance l’ouverture d’un centre de service à Dakar, forme les jeunes et aide à découvrir des modèles économiques différents. Au Burkina, Alcatel Lucent a mis en place une plateforme d’e-learning pour 100 experts pour développer l’actif numérique et favoriser le développement d’applis pertinentes en local. La portée de cette initiative est à mettre en regard de la pyramide d’âge des populations en Afrique : 50% de la population a moins de 15 ans, ce qui est tout autant gage d’énergie et d’innovation que de poids considérable en matière d’éducation et d’insertion professionnelle.

En deuxième lieu, toute innovation, pour pouvoir s’étendre doit s’appuyer sur un cadre juridique favorable, i.e. réglementation de la concurrence, de l’utilisation des TIC, de la sécurité sur Internet… ainsi qu’une simplification des procédures permettant l’innovation entrepreneuriale. Ce dernier domaine fait l’objet du rapport Doing Business de la Banque Mondiale. A titre d’illustration, en 2015, le rapport met en avant 4 pays africains (Bénin, Togo, Côte d’Ivoire, Sénégal), qui figurent parmi les dix économies ayant le plus progressé dans la simplification des procédures. Création d’entreprise, obtention du permis de construire, transfert de propriété, exécution des contrats et autres, toutes ces procédures sont des sésames pour le développement d’activités innovantes.

En troisième lieu, pour s’appuyer sur les SI et développer des services de plus en plus innovants pour les populations, il convient de revenir à la base, c’est-à-dire de développer des infrastructures capables de porter les échanges entre SI –fibre, réseau GSM ou tout autre réseau- de manière sécurisée. La conviction 5 est dédiée à ce point, mais elle est d’autant plus essentielle dans le cadre de la pérennisation des offres innovantes fondées sur les SI. Au départ, l’innovation ouvre des voies expérimentales et se contente volontiers d’infrastructures peu fiables, mais plus le périmètre organisationnel et fonctionnel de l’innovation s’élargit pour atteindre des marchés de masse et éloignés, plus il est nécessaire de fiabiliser la base. A ce stade, la connectivité est encore perfectible en Afrique, le coût « international » des communications entre pays africains demeure très élevé.

En quatrième lieu, le vrai problème, au-delà des compétences, du cadre juridique et des sous-jacents SI, est de passer de l’idée au marché, et pour cela de disposer d’une mise de fonds initiale et stable jusqu’à l’arrivée à maturité de l’offre. C’est dans ce maillon de la chaîne que s’inscrivent les incubateurs. De fait, la Banque Mondiale, dans le cadre de l’initiative digital entrepreneurship Africa, a co-financé la création de près de 100 incubateurs dédiés aux TIC. L’argent reste le nerf de la guerre  pour alimenter la pompe à innovation : le fait que les innovations inversées réussies à ce jour, aient été développées dans des pays émergents en forte croissance (en Inde notamment), est symptomatique de cette exigence. Il y a donc là la place pour la mise en œuvre de partenariats gagnant gagnant, qu’il s’agisse de partenariats public-privé, de partenariats entre les secteurs privés des pays développés et africains, mais aussi de partenariats entre secteurs privés et ONG, ces dernières ayant une connaissance très fine des besoins des populations au plus près du terrain. Une offre adaptée aux populations défavorisées dans les pays développées ou dans les pays émergents suppose que tout le monde se mette autour de la table pour créer une synergie entre connaissance des besoins, compétences et financement.

C’est en relevant tous ces défis que le potentiel de croissance des TIC sera pleinement déployé en Afrique, telle qu’elle est promise par la littérature économique selon laquelle une croissance de 10% du taux de pénétration d’Internet dans une économie émergente peut se traduire par une hausse du PNB de 1 à 2 points.

Jean-Michel Huet, Partner BearingPoint et Ludovic Morinière, senior manager BearingPoint

[1] Vijay Govindarajan, Chris Trimble, Indra K. Nooyi , Reverse Innovation: Create Far from Home, Win Everywhere,  Harvard Business Review Press, 2012

[2] PNUD, Rapport OMD 2012 : le taux de mortalité maternelle (TMM) moyen pour le continent africain était de 590 décès pour 100 000 naissances vivantes en 2008.

[3] Nombre d’utilisateurs uniques de la téléphonie mobile divisé par la population totale

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