Montréal, un eldorado qui se mérite.

Près de 100.000 Français vivent aujourd’hui dans la métropole québécoise. Et les candidats au départ pour la Belle Province sont nombreux. Mais si les Québecois parlent le français ils pensent américain. Un point à ne jamais oublier pour réussir.

Vendredi 7 février, autour de 23 heures, sur le quai Jacques-Cartier de Montréal. Le mix des Français de dOP bat son plein. Les basses s’engouffrent dans vos oreilles bien avant que vous n’arriviez aux portes d’Igloofest, festival de musique électronique en plein air inauguré en 2007. François Fournier vous accueille avec enthousiasme :« Vous avez vraiment de la chance, ce soir la météo est parfaite. » Il fait – 11 °C. « Et puis il commence à neiger, c’est encore plus poétique. » Devant la scène, des milliers de fêtards en tenue de ski se déhanchent hardiment, le plus souvent une bouteille à la main. « Ici, on met la bière au réfrigérateur pour l’empêcher de geler ! » pouffe François Fournier. Le festival, qui a fait jouer cette année des stars de l’électro comme Matthew Dear, Âme, ou Skream, a battu son record de fréquentation : plus de 85.000 participants.

C’est, aussi, ce genre d’expérience originale qui attire à Montréal toujours plus de Français. Le 1er février, la première tranche de 2014 des PVT (programmes vacances travail, des visas temporaires),destinés aux Français de 18 à 35 ans, s’est écoulée, en ligne, en quelques… minutes. On a beaucoup glosé sur l’engouement des Français pour le Canada. Les déclinistes y voient le symptôme d’un exode massif de jeunes qui tournent le dos à leur pays. Hélène Conway-Mouret, la ministre en charge des Français de l’étranger, en visite pour annoncer un accord de reconnaissance des diplômes d’infirmière, ne partage pas ce diagnostic. « Ces candidats au départ, ce sont des jeunes éduqués à l’international, pour qui sortir de France n’est plus une grande aventure difficile, et qui viennent saisir des opportunités, assure-t-elle. Ils voient le Canada, un pays qui a certes moins de chômage que la France, comme un tremplin, et pas comme un exil forcé. »

C’est indéniable, des opportunités, Montréal et le Québec en offrent beaucoup. La région a été relativement épargnée par la crise financière. Plusieurs secteurs connaissent un véritable essor. Les jeux vidéo par exemple. Et un groupe français, Ubisoft, a joué à cet égard un rôle primordial. « Nous nous sommes installés à Montréal en 1997, raconte Cédric Orvoine, vice-président en charge de la communication. Notre entreprise a été attirée par les incitations de la province du Québec. Le ministre des Finances de l’époque, Bernard Landry, qui voulait juguler le chômage des jeunes, a proposé de prendre en charge, sous forme de crédit d’impôt, une partie des salaires. » Mais Montréal avait aussi d’autres atouts. « D’abord des universités de très haut niveau. Des entreprises spécialisées dans les logiciels de modélisation, stratégiques pour nous, déjà installées. Sans parler de la situation géoculturelle du Québec, qui nous donne, en territoire francophone, une sensibilité au mode de vie américain qu’on peut jumeler à notre créativité européenne. » Du coup, Ubisoft, qui ambitionnait de créer 500 emplois en dix ans, emploie aujourd’hui environ 3.000 personnes dans tout le Québec. Les politiques publiques et le talent des sociétés du secteur ont fini par créer le troisième pôle d’excellence mondial dans le jeu vidéo, derrière le Japon et la Californie. L’essor du secteur a contribué à modifier la sociologie de Montréal. Pour Gaëtan Havart, un architecte liégeois installé ici depuis dix ans, « l’arrivée d’Ubisoft a drainé toute une population de designers, de graphistes, de créateurs, qui ont redéfini le Mile End ». Un quartier qui abritait, dès les années 1980, une population d’artistes plus ou moins bohèmes, et a connu une gentrification notable. Sans y perdre son âme – Xavier Dolan y a tourné ses « Amours imaginaires ». Le Mile End conserve de nombreux endroits alternatifs propices à la création.

Car la ville de Montréal aime à mettre en avant son inventivité. Elle a même, depuis 2012, une convention annuelle qui la promeut aux yeux des leaders d’affaires internationaux. C2MTL se présente comme « une conférence d’affaires entre le génie et la folie ». L’édition 2014, en mai, accueillera le père du microcrédit, Muhammad Yunus (prix Nobel de la paix 2006), le réalisateur James Cameron et… le créateur de chaussures Christian Louboutin. Un éclectisme revendiqué par le patron, Benoît Berthiaume, qui a pris le titre de « chief experience officer » : « Nous voulons que des talents d’univers différents puissent se rencontrer et créer des liens entre des concepts qui n’étaient pas juxtaposés jusque-là. » Mais il n’y a pas que dans les industries créatives que Montréal se distingue. Le Québec innove aussi dans le secteur de l’énergie. Hydro-Québec, contrôlée par le gouvernement québécois, a pour mandat de favoriser ce qu’on appelle ici « l’électrification des transports ». Comprendre les voitures électriques ou hybrides. « Nous avons plusieurs raisons de nous y consacrer, explique Pierre-Luc Desgagné, vice-président en charge des affaires publiques. Les tarifs d’électricité d’Hydro-Québec sont parmi les plus bas en Amérique du Nord et le Québec souhaite réduire ses importations de pétrole tout en réduisant ses émissions de gaz à effet de serre liées au transport. » Hydro-Québec a déjà passé des partenariats avec 5 grands constructeurs. « Notre objectif, c’est que les conducteurs puissent charger leur batterie chez eux. Et cela, sans besoin de gros investissements sur le réseau. On peut même envisager qu’un jour les batteries des voitures renvoient de l’électricité dans le réseau, au moment des pointes de consommation. Il y aurait un avantage financier pour les particuliers. »

Parmi les autres secteurs dynamiques de la région, la directrice générale de la Chambre de commerce française au Canada cite aussi l’aéronautique, les sciences de la vie, l’agroalimentaire. Mais Véronique Loiseau préfère mettre en garde les candidats à l’expatriation québécoise. « Certains Français, notamment certains entrepreneurs, croient retrouver ici une deuxième France à l’étranger. Ceux-là échouent le plus souvent. Ici, on est en Amérique du Nord. On travaille à l’américaine. On parle d’argent de manière beaucoup plus décomplexée et il faut prouver comment on va en faire. »Les choses vont plus vite, c’est positif, mais le marché n’est pas facile. « Il faut être très structuré, accompagné d’un avocat quoi qu’on fasse. Le marketing est très important, parfois plus que le produit lui-même », insiste Véronique Loiseau. Le partage d’une langue commune agit parfois comme un leurre, car il masque des différences culturelles importantes.

« Il faut bien comprendre notre double héritage : nous parlons français mais notre façon de penser est très anglaise, s’exclame même Alexandre de Bellefeuille, un Québécois qui travaille dans les milieux de la mode et du cinéma, à cheval entre Montréal et Paris.Parfois les Français nous disent qu’on utilise des structures de phrase inappropriées, parce qu’ils ne comprennent pas que nous réfléchissons comme des Anglais, même si on utilise un vocabulaire français. » D’où de possibles incompréhensions.

Lors de sa visite, en février, à l’Office français de l’immigration et de l’intégration, Hélène Conway-Mouret a pu mesurer les difficultés auxquelles se heurtent de nombreux Français. « On me demande d’être bilingue en anglais », explique une quadragénaire désappointée, qui a lâché un emploi bien payé dans l’immobilier à Paris et galère aujourd’hui. « Mon master français n’est pas reconnu ici », déplore une jeune fille, la vingtaine. « Les employeurs réclament tous une première expérience québécoise, mais si personne ne nous donne une chance, comment l’obtenir ? » s’interroge une autre. Beaucoup de candidats à l’expatriation québécoise imagine que le PVT est le bon outil juridique pour s’installer. Mais les entreprises se méfient des « PVTistes » : elles craignent d’investir sur des gens qui repartiront en France rapidement, à l’expiration de leur visa temporaire. Maryse Grob, avocate spécialiste en immigration, conseille aux Français « de mieux préparer leur arrivée et d’examiner les autres programmes, même s’ils sont plus contraignants au départ ».

Un bon moyen de mettre le pied dans une entreprise peut être le bénévolat. Pierre Noïnski, vingt-huit ans, est arrivé à Montréal il y a deux ans, après trois ans et demi passés à Boston. Sa copine, qui ne pouvait rester aux Etats-Unis, est partie pour Montréal en 2011. Il l’a suivie un an plus tard, avec un PVT. « Mon premier job a été en tant que bénévole pour C2MTL. Mais c’était un bénévolat très qualifiant, structuré, dans lequel je devais gérer une équipe. Et l’entreprise m’a ensuite embauché. »

Les Français seraient aussi avisés de regarder en dehors de Montréal, où certains secteurs sont saturés, recommandent les experts. Dans la culture, notamment, la consigne est parfois donnée de geler les embauches de Français, par crainte de créer des tensions au sein des équipes. On estime autour de 100.000 le nombre des Français établis à Montréal. Leur concentration est devenue très forte dans certains quartiers comme le Plateau Mont Royal, au risque de provoquer des frictions. « Il faut venir dans l’idée que c’est à nous de nous adapter. Il faut faire preuve d’humilité »,souligne Marianne, trente-trois ans, arrivée en 2012 pour travailler dans l’industrie du jeu vidéo. La ville de Québec, Laval, ont des besoins importants de main-d’oeuvre qualifiée. Et s’il y a une chose qu’on reconnaît volontiers aux Français, c’est un excellent niveau de formation. Il faut s’accrocher, donc, mais le jeu en vaut la chandelle. Guillaume Blanchet, trente-sept ans, a quitté Paris en 2003, après deux années passées dans la capitale, poussé par une forte envie d’ailleurs. Il a posé ses valises à Montréal, a travaillé dans la publicité, et s’épanouit depuis ici. Il veut maintenant faire de Montréal « la base de ma vie. J’en aime le rythme. On a moins de vacances qu’en France, mais tous les jours on a un petit bout de détente. J’aime le rapport à la nature, la tolérance, l’ouverture aux immigrants ». Et, à tous les Français moroses, Guillaume envoie ce message :« Le Québec m’a rendu optimiste. »

Par Karl de Meyer | 24/02, Les Echos
Envoyé spécial à Montréal

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